vendredi 9 avril 2021

Cœlacanthe

Ce n’est ni une grande nouvelle, ni un scoop, mais j'en parle quand même, hein.

Cœlacanthe est le titre du roman que j'ai écrit. Les éditeurs publiant peu de nouveautés dans le contexte actuel, j'ai pris la décision d'autoéditer la chose sous forme d'un ebook chez Amazon. Pas la peine de me dire que c'est mal, car un, je le sais déjà et, deux, je ne suis pas réellement convaincu que ce le soit.

Pour la lire la chose il disposer faudra disposer d'une liseuse Kindle ou télécharger l'appli gratuite.

La chose coûte la bagatelle de 6 euros. Si vous n'avez pas d'argent à dépenser, vous pouvez également l'emprunter - gratuitement si j'ai bien compris, et la lire sur ordinateur ou tablette. Pour ce faire,  vous pouvez par exemple cliquer sur le lien suivant  https://miniurl.be/r-3ntu

Si vous trouvez la couverture un classieuse, j'en suis un rien flatté. Elle reflète un seul aspect du roman mais c'est déjà bien, non ?



 


 

 

 

 

 


dimanche 28 mars 2021

Château d'eau pour un dimanche.


Une vue du château d'eau de Schöneberg, celui de la station de S-Bahn Priesterweg.

Quand j'habitais à Berlin, c'est à dire jusqu'en juin 2020 et depuis octobre 2008, je passais tous les jours devant.

Il faudrait sans doute que je raconte le long périple depuis que j'ai quitté l'Allemagne mais pas ce soir. Je travaille cette nuit et le lundi je dors presque toute la journée.

Imaginez seulement deux adultes plus très frais, en train, avec deux chiens, un chat et Georges le rat discrètement planqué dans sa cage. Leipzig, Mannheim, Paris, une halte de cinq mois à Aurillac, La Souterraine, Vierzon, Saint-Nazaire. Mais maintenant ça y est, je suis posé. 


samedi 27 mars 2021

Samedi 27 mars


 Je me rappelle, enfin je crois, que l'heure d'été à été instaurée en 1976. L'année où j'avais quatorze ans et une cabane dans un arbre.

Il est 15 heures trente, je me réveille doucement. J'ai jeté un coup d'œil à mes semis. Il semblerait que je sois parti pour avoir dans les trois douzaines de tounesols géants. Les premières capucines montrent le bout de leur nez.

Je n'ai pas lu  le Modiano jusqu'au bout, Rue des boutiques obscures. C'est écrit avec l'ongle du petit doigt et même une camomile  très pâle ferait plus d'effet. En fait c'est la deuxième infusion insignifiante que je lis de ce mec.

J'ai également abandonné sans hésitation la lecture de l'Année des Méduses. Ça me donnait des remontées acides et je n'arrêtais pas de repenser à l'actrice qui exhibe ses nichons de petite pute adolescente dans le film.

J'aurai sans doute fini le Vicki Baum d'ici jeudi. Après, je pense que serai assez d'humeur à retourner du côté de Henning Mankell. La Cinquième Femme m'a tellement plu que j'ai envie de lire tous les Wallander. 

jeudi 20 février 2020

Souvenir cathodique


Fin des années 70, à l‘époque où il y avait 3 chaînes de télévision, des speakerines qui présentaient les programmes, tantôt à gauche, tantôt à droite d’un immense bouquet de fleurs, que certains voyaient déjà en couleurs, d’autre en noir et blanc.

Il y avait un ciné-club tard le soir en fin de semaine sur la deuxième chaîne, et aussi un autre je crois sur la troisième. N’importe qui, n’importe quel adolescent pouvait se pourrir confortablement de vieux films.

Vers une heure du matin, des bonhommes en apesanteur signalaient la fin des émissions, jusqu’aux premières heures du lendemain, ou des bonhommes similaires en signalaient le début.


 Le dimanche soir, les gens regardaient le grand film du dimanche soir. En semaine,  un feuilleton télévisé captivaient les spectateurs épisode après épisode. Parfois, il s’agissait d’un réel chef-d’œuvre, comme « Les Dames de la Côte. »  C’était 1979. Les magnétoscopes existaient déjà mais aucun foyer n’en possédait encore.

Les Dames de la Côtes, de Nina Companeez. Fanny Ardant y faisait ses débuts, ignorant qu’un certain François Truffaut suivait chacun de ses faits et gestes sur le petit écran. La série était très belle, très forte, très vraie. Quelques jours après la diffusion du sixième et dernier épisode, la deuxième chaîne du service public de télévision commençait à recevoir les premières lettres de téléspectateurs réclamant une rediffusion de l’œuvre. Quelques mois après leur disparition de l’antenne, les Dames y étaient reprogrammées.



mardi 11 février 2020

Die another Day






La tombe était une des premières juste après l’entrée basse du cimetière, c’est-à-dire quand on arrivait par la rue de son ancienne école. Une fois passé le portail gris on montait d’abord six marches, tout droit, puis il y en avait six autres, sur la gauche, en haut desquelles on tombait tout de suite sur l’enclos pour les fleurs fanées.

Deux robinets adossés au mur, une demi-douzaine d’arrosoirs en plastique vert qui remplaçaient les anciens en fer galvanisé. C’était là qu’il fallait bifurquer à droite. Huitième sépulture sur la gauche. Du granit brut. Quelques années après sa mère on avait rajouté son père dont le nom était gravé en lettres dorées sur la ligne inférieure. C’était pratique. Il suffisait de disposer les potées de chrysanthèmes d’une certaine façon pour que le haut des touffes masque la seconde inscription
On pouvait également se présenter par l’entrée haute, celle de la rue de l’église. Celle-là possédait un portail plus imposant, avec deux battants qui s’ouvraient en grand les jours d’inhumation, pour permettre au corbillard d’avancer le plus loin possible.

L’entrée basse offrait l’avantage qu’il n’y avait pratiquement pas à chercher. C’était tout de suite là. On naviguait sans instrument. Quelques pas suffisaient, et juste en haut des marches il suffisait de tourner la tête pour apercevoir la mer.

Il avait préféré attendre jusqu’à midi. La demie passée, même, pour faire bonne mesure. Dans son esprit, cela garantissait qu’il ne croiserait personne puisque c’était l’heure du déjeuner.

Son frère habitait un peu plus loin, une maison aux volets jaunes qu’il délaissait souvent l’été au profit d’une autre, dans le Morbihan, où l’eau avait la réputation d’être plus poissonneuse. Il avait sûrement des casiers à homards à relever – et sa belle-sœur de pauvres bêtes à ébouillanter d’une moue sadique.

Le boulevard descendait presque tout droit jusqu’au cimetière, décrivant un arc-de-cercle autour du village. Il portait le nom d’un explorateur célèbre mais dans son enfance la plupart des anciens continuaient d’employer l’ancien nom, Boulevard de Ceinture, parfois abrégé en un seul mot ridicule qu’il ne comprenait pas. C’était l’époque où il y avait encore des fossés des deux côtés de la chaussée, avec parfois une salamandre ou un crapaud écrasé.


Il y avait très peu d’arbres, seulement au début et vers le milieu, juste au niveau du square qui portait désormais le nom de ses quatre grands-oncles tombé pour la France. Il était donc bien chez lui, sur son territoire, et il pouvait reconnaître les moindres buissons comme s’ils étaient marqués de son empreinte. Devant lui, son ombre difforme était presque gênante, comme si un jumeau atrophié lui collait aux semelles – presque pas de jambes et deux moignons, les mains directement soudées au tronc. En quelque sorte, une version antérieure et peu enviable du cœlacanthe.


Il voulait se donner tout le temps d’arriver et prenait également celui de reconnaître les maisons, numéro après numéro. Il n’avait le souvenir d’aucune empoisonneuse, d’aucun suicide réussi, d’aucun meurtre. C’était un boulevard décent où l’on mourrait proprement, de toutes les façons possibles, et parfois la cause du décès avait un nom terrifiant ou mystérieux qui défiait la compréhension d’un enfant. Pour Monsieur Sécher, par exemple, il avait longtemps cru que l’hépatite fulminante était un champignon cousin de l’amanite phalloïde qu’on lui apprenait à reconnaître à l’école car il y en avait partout dans les bois qu’on pouvait confondre avec d’autres espèces comestibles.

Un peu plus bas, la maison toujours fleurie avec la boîte à lettres en forme de moulin à vent, c’était le tétanos, probablement à cause d’un rappel de vaccin négligé et d’une épine de rosier.

Sur le côté gauche, au 63, des Parisiens qui avaient fait construire début des années soixante-dix. Lui, un banquier qui passait tous ses après-midi à nager. Une fin d’après-midi sur la plage, des vacanciers installés à quelques mètres de lui avaient commencé à s’interroger, contrairement à d’autres qui le connaissaient un peu, ou suffisamment pour ne pas s’étonner de le voir rester allongé longtemps dos au soleil entre deux crawls, sur sa serviette. On avait d’abord cru qu’il s’agissait d’une simple insolation.

Au 65, le nom lui échappait mais c’était également arrivé un été, celui d’avant ou celui juste après l’infarctus sur le sable, un jour d’orage et de gros coefficient de marée. Plus précisément, un de ceux où la mer se retirait au plus loin qu’elle pouvait. La preuve, c’était qu’on distinguait la totalité des Pourceaux, c’est-à-dire deux rochers jumeaux à plus de cent mètres du bord, qui faisaient chacun la taille de trois hommes et dont on n’apercevait la plupart du temps seulement le tiers supérieur. L’homme avait le même âge que son père. On disait que sa femme avait rendez-vous chez le coiffeur, tôt le matin, qu’elle en avait au moins pour deux heures car c’était pour une permanente, et que l’orage était venu sans prévenir. Que si elle avait été présente, elle lui aurait interdit d’aller à la pêche aux moules, car contrairement à lui elle avait la tête sur les épaules. On savait seulement qu’il avait un crochet métallique pour soulever les rochers. Les témoins racontaient tous qu’il avait escaladé un des deux jumeaux, puis qu’au moment où il levait le bras en signe de victoire la foudre s’était abattue sur lui. En deux secondes c’était fini.

Il connaissait seulement la veuve, de vue, et la réputation qu’elle avait à l’épicerie, d’ausculter camembert sur camembert d’un index impudique.

Pour Monsieur et Madame Etourneau, au 34, il ne savait pas. Il n’avait jamais rien entendu dire à leur sujet. Mais cependant, il pouvait imaginer.

L’un et l’autre, n’avaient-ils pas la panse gonflée, le blanc des yeux d’un vilain jaune, très prononcé ? Les trois ou quatre fois où il était entré chez eux, il se sentait intimidé par la bouteille sur la table, une bouteille d’un litre de vin rouge avec une capsule en plastique rouge.

Ils ne se cachaient pas, buvant à petites gorgées devant lui, paisiblement, dans des verres sans pied. Monsieur Etourneau était presque toujours en pyjama. La maison sentait le lit jusque dans la cuisine, jusque dans la salle de séjour où, en face du canapé, ils avaient en photo un fils qui avait fait quelque chose.

C’était lui qui était dans un régiment de chasseurs ? Lui qui, une fois, alors qu’il arrivait juste en permission… ?

Sans qu’il sache s’il y avait un rapport, on avait parlé un jour de marché d’un soldat qu’on venait de mettre en prison, de la fille d’une salope qui ne valait pas mieux que sa saleté de mère. C’était dit d’une certaine façon pour qu’il ne comprenne pas mais il avait surpris un geste, des mots, une intonation.

Il accompagnait sa mère, qui attendait aux légumes. Au moment où la conversation prenait un tour trop précis, il était certain qu’elle avait préféré l’éloigner, lui demandant d’aller faire la queue à la volaille, mais cependant il était presque convaincu d’avoir saisi qu’il était question d’un bébé et d’une baignoire. N’était-ce pas comme la tante, qui, l’air embêté, venait parfois chercher son père pour faire un trou au fond du jardin parce que la chatte avait encore fait des petits ?


Pour Madame Verdier, on avait dit que c’était l’avarice, qu’elle avait la hantise de salir sa salle de bain, un véritable palais de marbre qu’elle lessivait deux fois par jour du sol au plafond. Là aussi, il y avait des témoins. On prétendait qu’elle et son mari ne se cachaient pas, au contraire. Qu’il était facile de les voir sortir de chez eux tous les soirs de juin à fin septembre, la serviette autour cou. Qu’ils marchaient d’un pas fier et se considéraient non seulement dans leur bon droit mais au-dessus de tout reproche puisqu’ils payaient leurs impôts locaux rubis sur l’ongle – une somme astronomique, soit dit en passant. Selon certains, leur manège durait depuis deux ans, mais d’autres parlaient du double. L’un ou l’autre, le résultat restait le même : l’eau était gratuite dans les douches du camping municipal et c’était là que Madame Verdier s’était brisée la nuque en glissant sur une savonnette oubliée sur le carrelage.


La dernière maison avant le cimetière, c’était la grande Adélaïde, toujours bien mise avec son impressionnant chignon jaune et ses ongles qu’elle continuait à vermillonner passé soixante-quinze ans, une femme terriblement coquette qui s’était mariée avec un officier anglais après la guerre. Un jour, pointant vers lui son buste avantageux, elle avait tenu à le mettre en garde en apprenant qu’il venait de dépasser la trentaine et n’était toujours pas marié. N’attends pas trop longtemps mon garçon, sinon il ne restera que du second choix. En quelque sorte, une prophétie.

samedi 8 février 2020

Votre feuilleton télévisé


Nous avons attendu un siècle avant de consentir à l’achat d’un « Smartphone ».

Une fois l’acquisition faite, nous avons patienté deux mois avant de daigner toucher à l’appareil.

Depuis que nous y touchons, nous sentons une addiction se profiler car, visiblement, nous publions beaucoup et n’importe quoi.

Mais qu’est-ce qu’une addiction, et que signifie n’importe quoi ?

Dame de Onze Heures

Au moins trois fois, dans la nuit, il était sorti fumer dans la rue, observant les passants comme les véhicules, le ciel noir qui enveloppait la ville.

Certains détails étaient comme dans les soirs ordinaires. Vers vingt-trois heures, vers minuit, il y avait toujours un va-et-vient de taxis qui coïncidait avec l'arrivée des deux derniers TGV en provenance de Paris. La gare était à trois cents mètres de l'hôtel, sur la gauche. Par expérience, il savait que cela se produisait au maximum trois ou quatre fois dans l'année. Il fallait que ce soit le plein hiver et qu'il fasse froid – un froid cinglant et décourageant. Il fallait aussi un vent d'est assez soutenu pour que les sons portent jusqu'à son oreille. Il trouvait toujours troublant, ces nuits-là qui étaient silencieuses et mortes, d'être caressé par la voix qui annonçait les deux derniers trains. Comme si, après, il n'y avait plus rien. Nulle part où aller. Seulement des rails et des voies, des lumières de différentes couleurs qu'il apercevait sans en comprendre la signification exacte, des trains de marchandises qui passaient sans s'arrêter, chaque wagon lourd portant en écusson des inscriptions faites de chiffres et de lettres dont le mystère restait entier.

Il faisait froid depuis maintenant une semaine entière, froid comme cela arrivait une fois tous les quinze ans dans la région. Dans l'après midi, il était tombé quelques gouttes d'une pluie lourde  qui restaient suspendues aux branches nues et commençaient à geler, sans vouloir tomber. Dans l'air, on distinguait aussi une fine poussière argentée et scintillante, très discrète, qui était sans doute du grésil.
Des tramways blancs circulaient, très peu, seulement toutes les vingt minutes, dans un grondement important qui faisait trop sérieux. A l'intérieur, les sièges étaient presque tous vides. Lorsqu'il s'était réveillé vers quinze heures, n'était-ce pas avec l'impression que quelque chose de spécial pouvait arriver ce soir-là ou dans la nuit ?

Il croyait se souvenir que oui, sans certitude. Ou bien c'était peut-être qu'il espérait plus ou moins.. Tout ce qu'il pouvait jurer c'était qu'il avait dormi d'un sommeil court mais profond qui l'aidait à ne pas se laisser bousculer par les événements.

Il se sentait juste un peu flou, le flottement habituel des mois de janvier où tout était plus lent, plus lourd, depuis maintenant cinq ans qu'il travaillait la nuit.

Cela ne l'empêchait pas d'être conscient de tout, des moindres détails, y compris les plus insignifiants, même s'il remarquait les choses avec un léger temps de retard.

Par exemple, on avait commencé à décrocher les décorations de Noël dans presque toutes les rues où il avait marché, et la buraliste en bas de chez lui avait une extinction de voix sévère. Rue Scribe et Rue Contrescarpe, on avait tendu du papier opaque en vitrine des magasins d'habillement, le temps d'enlever les collections de fin d'année. Seuls des torses et des têtes de mannequins nus dépassaient.

C'était une année comme tant d'autres où il s'était à peine aperçu qu'il y avait eu les fêtes, et une fois de plus il sentait qu'il respirait mieux parce qu'on était à présent dans la banalité froide de mi-janvier où personne n'était tenu de sourire.

Ces semaines-là n'étaient pas pour lui déplaire, en dépit du manque de lumière qui lui ralentissait un peu l'esprit.

- Tu n'aurais pas la possibilité de travailler de jour, dans ton hôtel ?

Une seule fois, il avait consulté parce qu'il avait le sommeil perturbé. Le médecin était le frère d'une amie de longue date. Il était allé chez lui parce qu'il n'en connaissait pas d'autre. Un bel homme, mais assez antipathique. C'était sans importance. Tout ce qu'il souhaitait était qu'on lui prescrive un tranquillisant efficace ; il prenait un quart de cachet un matin par semaine, lorsqu'il sentait que le sommeil ne voulait pas venir. Cela fonctionnait presque toujours. Il sentait d'abord un engourdissement. Cinq minutes passaient. Ensuite, il n'y avait plus rien. Certains jours d'hiver il se couchait avant que le soleil soit levé et quand il ouvrait les yeux c'était déjà la tombée du soir. Ce n'était pas toujours désagréable. C'était même parfois presque doux, comme s'il était enveloppé d'une soie légèrement rugueuse qui le coupait de tout.

La preuve, c'est qu'en arrivant pour prendre son service vers vingt heures trente il n'avait pas sursauté lorsque les clients de la 505 s'étaient précipités vers lui. Ils étaient là depuis deux jours et prévoyaient d'en rester encore trois. Des canadiens du Nouveau Brunsvick. Il était pourtant persuadé que les Canadiens étaient des gens charmants dénués de complications. Un couple qui allait vers les soixante-dix ans. C'était principalement la femme qui parlait, d'une voix ferme et en même temps empâtée qui exhalait des vapeurs de vin rouge. Ils sortaient juste de table, où ils semblaient avoir eu un dîner épicé.

- Vous n'avez toujours pas réussi à nous trouver une chambre plus spacieuse, monsieur ? Il faut vous mettre à notre place. Comme je l'expliquais hier, nous arrivons de Budapest où nous avions à notre disposition une suite entière chez l'ambassadeur de Slovénie. Qui plus est...

Il écoutait une phrase sur deux, préférant observer. La femme avait une bouche en forme de fraise, un chemisier léger dont elle agitait le bas pour s'aérer, dévoilant les plis de son ventre dont la chair était fripée. L'homme ne disait presque rien, se contentant de lire sur son téléphone portable des messages dont il semblait le seul à ne pas reconnaître la provenance :

- Enfin, Edmond ! Tu sais bien de quel Roger il s'agit. Pas celui d'Antibes. L'autre. Le beau-frère de l'ambassadeur des Philipines, dont la fille a épousé...

La femme portait trois rangs de fausses perles autour du cou, turquoise et de tailles différentes, sur lesquelles elle laissait courir ses doigts secs tout en dictant ses instructions :

- Vous aurez l'amabilité de nous réveiller à sept heures, monsieur ? Sept heures précises ?

Il sentait un sourire grinçant commencer à mordre l'intérieur de ses joues et notait tout sur une fiche, consciencieusement, sans être toutefois certain de saisir la nuance subtile qui séparait sept heures de sept heures précises.

- En plus, notre ami l'ambassadeur de Slovénie...

Sept heures précises. C'était important. Il soulignait deux fois sur le papier, tout en pensant que si tel était son bon plaisir il pouvait décider de les réveiller dans seulement soixante-dix ans, à l'état de momies raides et desséchées. Pourquoi imaginait-il tous les détails de la scène, l'odeur légèrement écœurante dans la chambre, jusqu'aux perles de pacotille qui avaient roulé sur la moquette et craquaient sous le pied ?

Plus tard dans la nuit, lorsqu'il essayait de tout se rappeler, aucun détail ne manquait. C'était vers quatre heures et plus rien ne roulait. Ni taxi, ni tramway. Ou bien c'était un peu plus tôt. Dans ce qu'il appelait la mauvaise heure, où le jour qui finissait se mélangeait à celui qui commençait.

Est-ce qu'il était troublé par le vent d'est, qui était rare dans la région, par les trottoirs qui gelaient, parce qu'on avait annoncé de la neige pour le lendemain ou le surlendemain, ce qui était tout aussi exceptionnel ?

Peut-être par tout cela à la fois et par rien de particulier, si ce n'est que certaine nuits il lui fallait trier les événements, comme s'il peinait à comprendre la mécanique des secondes, des minutes. Les heures paires, par exemple, passaient sans qu'il en ait conscience, contrairement aux heures impaires où il remarquait et enregistrait tout. Il lui fallait en quelque sorte faire un effort pour se rappeler certaines choses, selon le moment où elles survenaient.

- Je veux bien te prescire quelque chose, mais n'en abuse pas. On a vite fait de devenir dépendant.

Le médecin l'avait mis en garde contre les tranquillisants, qu'il ne prescrivait qu'à contre-coeur, à cause des effets secondaires. Sa sœur, qui était une amie intime de longue date l'avait prévenu une fois qu'il existait certainement des médecins plus aimables que lui :

- C'est un sale con qui fréquente une poupée Barbie dont les parents ont une une usine de....

La dernière année où ils habitaient l'un et l'autre chez leurs parents, elle avait raconté, comme s'il s'agissait d'un détail amusant :

- Hier soir, j'ai eu le malheur de rentrer dans sa chambre au mauvais moment, pour lui demander du feu. Je l'ai trouvé assis nu sur sa chaise, à califourchon je crois,  et je crois bien qu'il était en train de...

En pleine nuit, surtout les nuits d'hivers, il était habitué à ces moments de désordre où tout se chevauchait dans son esprit : sa mémoire qui défilait et le défilé des clients devant lui, de l'autre côté du comptoir, des gens qui avaient parfois une histoire et d'autres qui semblaient vides et n'en avoir aucune, certains comme des fantômes impalpables, certains comme des êtres de chair envahissants qu'il lui arrivait d'avoir envie de supprimer pendant leur sommeil, sans douleur, sans laisser de traces non plus, d'un geste radical et propre.

Un court instant, est-ce qu'il n'avait pas rêvé d'une hache, d'un scorpion habile dissimulé sous un lit, parce qu'on l'avait appelé au cinquième à cause d'un radiateur bouillant et qu'en passant silencieusement devant une porte il avait reconnu la voix qui lançait, entrecoupée par les jets d'eau dans la douche:

- Edmond ! Fais-moi impérativement penser à envoyer un message à Denise. Elle se vexerait si j'oubliais de la remercier de m'avoir donné l'adresse du coiffeur de Dresde.

Il était monté par l'ascenseur et redescendu par l'escalier,  les cinq étages entiers, décorés d'aquarelles fades comme on en trouve dans certains hôtels trois étoiles. Il avait besoin d'une cigarette, à cause du coiffeur de Dresde et de l'ambassadeur de Slovénie. Il n'était pas encore très tard. Après, il y avait du flou. Il avait chaud, et juste après il avait froid. Un peu. Il hésitait à replacer les moments dans le bon ordre, l'ordre précis. Il était sur le trottoir, conscient de ne penser sérieusement ni à une lame, ni à un scorpion.Il n'arrivait pas à dire s'il avait l'impression que le ciel épais appuyait sur les toits, ou si au contraire il n'y avait pas de ciel du tout, mais seulement une couleur vide et froide, moitié noire et moitié violette, qui ne laissait voir aucune étoile.  

Est-ce que la visiteuse l'avait cru ? Sur le moment, il était persuadé d'avoir menti de façon convaincante, avec une assurance légèrement blasée. Maintenant qu'il y repensait, il voulait bien croire qu'elle avait eu des doutes – soit pendant qu'elle lui parlait, soit une fois qu'elle était repartie.

Il l'avait vu arriver vers une heure du matin. Il n'était pas surpris puisqu'on l'avait prévenu qu'elle risquait de s'adresser à lui. Blonde, environ vingt-cinq ans, l'assurance vaguement arrogante d'un étudiante en cinquième année de droit.

Il savait que c'était elle avant même d'avoir levé les yeux. La porte donnant sur la rue s'était ouverte nerveusement, et des bruits de pas eux-mêmes nerveux suivaient ce bruit-là. Il n'était pas étonné de voir avancer une silhouette aux traits tirés, les yeux cernés. C'était comme on lui avait dit, à quelques détails près qu'il ne pouvait pas imaginer ou connaître d'avance.

Par exemple, il n'avait pas prévu que la jeune femme serait vêtue d'un manteau en peau de mouton retournée, bleu marine, ni qu'elle portait des gants de laine jaune moutarde assortis à son écharpe tricotée.

- Je cherche ma mère, qui a disparu depuis maintenant deux jours et pourrait se trouver dans votre établissement.

Elle avait dit pourrait, au conditionnel,  ce qui indiquait qu'elle n'avait pas de certitude. Les deux agents qui étaient passés plus tôt dans la soirée n'en avaient pas non plus et se basaient sur de simples suppositions, eux aussi.  

- Votre mère … ?

Il était sûr de prononcer ces mots-là sur le ton approprié, avec juste ce qu'il fallait d'étonnement. Sa voix était la voix un peu traînante d'un homme qui travaille la nuit sans profiter d'un sommeil profond en journée. Cela aidait beaucoup. Il n'avait pas besoin de tricher. On comprenait facilement qu'un homme avec des horaires aussi décalés que les siens ait parfois l'air d'être mal réveillé.

Il s'agissait d'un métier où l'on s'abstient de donner des renseignements sur les clients tant que les clients sont inoffensifs et ne font pas d'histoires. Il avait expliqué aux deux agents que l'établissement accueillait un groupe de soixante retraités pour la nuit. Il s'agissait, sur l'écran, des quarante chambres représentés par des rectangles rose pâle.

- Vérifiez bien, c'est important. Nous recherchons une certaine Madame Lavancher dont la famille est sans nouvelles depuis deux jours.

Il n'avait pas peur. Comme s'il n'avait rien à cacher, il avait invité les agents à le rejoindre de son côté du comptoir, montrant du doigt les rectangles roses sur l'écran de l'ordinateur. Il parlait d'une voix posée, expliquant que les rectangles vierges correspondaient aux cinq chambres qui n'étaient pas occupées. Sauf imprévu de dernière minute, il n'attendait pas d'arrivées dans la nuit  Le vert était la couleur des chambres louées aux individuels. La 201 et la 202 à deux couples d'italiens, dont l'un avec un enfant en bas âge qui faisaient se premières dents. La 506, qui comportait quatre lits et un coin salon, était occupée par Monsieur Duberger, un habitué de longue date qu'on remerciait de sa fidèlité en lui attribuant chaque fois qu'il était possible une chambre spacieuse et confortable, sans supplément de prix, car c'était un homme charmant. La 508, juste en face, c'était Madame Bouin, une septuagénaire un peu perturbée qui habitait le Croisic et dont on opérait le mari du cœur, à l'hôpital Nord. Elle prévoyait de rester encore au moins une semaine. A la 505, il y avait bien sûr les Canadiens.

- Une femme d'une cinquantaine d'années, mince, brune avec des cheveux courts, sans doute sans bagages et sans doute vêtue d'un manteau beige.

Sa voix était posée. Il n'avait pas tremblé un seul instant, même lorsqu'il expliquait que cela ne pouvait pas être non plus la 304, puisque la dame du 304 ne  correspondait pas au signalement. Pourquoi était-ce si facile de cacher qu'en arrivant elle lui avait demandé de l'enregistrer sous un faux nom, s'il n'y voyait pas d'inconvénient, un nom qu'il avait choisi lui-même, Mademoiselle Bonacieux, Constance Bonacieux ?

Il prononçait le nom sans sourire, sans même un pincement des lèvres. Ce n'était pas difficile. C'était même simple puisque Madame Lavancher l'avait prévenu qu'on chercherait sans doute par tous les moyens à la retouver dans la nuit.

- Si par malheur....

      Elle était calme. Elle s'interrompait un instant, semblant presque regretter les mots graves qui sortaient de sa bouche.

- Si par malchance...

Elle était bien comme les policiers la décrivaient : une femme d'une cinquantaine d'années, mince, brune avec des cheveux courts, sans bagages et  vêtue d'un manteau beige. Ils semblaient toutefois ignorer qu'elle portait une longue écharpe de soie rouge.

- Si par malchance on réussissait à me retrouver vous accepteriez de...

Il avait répondu oui. Oui à tout ce qu'elle lui demandait, sans hésiter ni essayer de savoir pourquoi il se montrait si conciliant. C'était sans doute parce que c'était nouveau, inespéré peut-être, et parce qu'il s'ennuyait depuis trop longtemps.

Les policiers étaient deux, en uniformes. Une femme un peu épaisse qui avait des yeux de chat siamois et semblait très sportive. Son acolyte masculin avaient les cheveux en brosse et des taches de rousseur. Aucun des deux ne semblait mettre sa parole en doute, puisqu'il mentait comme il respirait.

- Vous avez noté le nom, le signalement ? Nous pouvons compter sur vous pour nous appeler si …

Il avait répondu oui. Une femme brune d'une cinquantaine d'années, distinguée, vêtue d'un manteau beige, sans doute sans bagages, et dont la famille était sans nouvelles depuis quarante-huit heures.  

Il avait donné la 304 à la cliente parce que c'était une chambre calme, avec vue sur le jardin. En outre, la chambre occupait une extrémité du bâtiment et était située à proximité immédiate de l'escalier de secours, qui permettait de sortir de l'établissement en toute discrétion.

Il y avait trois étages à descendre, assez sinistres, non chauffés, soit en tout une soixantaine de marches en béton, un peu raides, qu'on ne pensait pas souvent à balayer. La porte vitrée, en bas, s'ouvrait d'une simple poussée.  On aboutissait sur une première cour, celle encombrée par les poubelles du restaurant. De là, il suffisait ensuite de prendre l'allée non éclairée qui s'étirait entre les cuisines et le mur du cimetière voisin. Trente mètres tout droit. Des peupliers et des bouleaux sur le côté gauche. Par temps de pluie les dalles étaient souvent glissantes, surtout en automne. Puis une seconde cour. Il avait expliqué que la porte rouge, dix mètres derrière les balançoires, n'était jamais fermée et permettait l'accès à l'immeuble occupant l'arrière du pâté de maisons dont l'hôtel constituait le devant. La rue parallèle, derrière, était peu passante.

Il ne posait pas de questions, jamais, parce qu'il se l'interdisait et parce que c'était rarement nécessaire. Peu lui portait pourquoi la cliente ne voulait pas être retrouvée. S'il avait promis de dissimuler sa présence, c'était parce qu'il n'était pas insensible à ce genre de femme-là, élégante, d'un calme qui faisait toutefois un peu froid dans le dos. En plus de choisir un faux nom pour elle, il avait choisi une phrase de quelques mots dont ils étaient l'un et l'autre les seuls à connaître la signification exacte.

Car en dépit des précautions qu'elle prenait elle n'était pas entièrement rassurée. Dans son entourage, on n'était pas sans ignorer qu'elle fréquentait plusieurs fois dans l'année le restaurant de l'hôtel ou bien le bar.

- Parmi  tous les endroits qui leur viendront à l'esprit, ils penseront forcément qu'il y a une chance que je sois ici... Ma famille... Ou bien toutes sortes de gens qui pensent vouloir mon bien et pouvoir m'aider dans la situation qui est la mienne... C'est eux, justement, qui ne doivent à aucun prix pouvoir me retrouver...

Elle réfléchissait un moment, préférant par prudence n'écarter aucun risque, aucune possibilité, et finissait par sortir de son sac à main un rectangle de papier bleu pâle. D'une écriture rapide, elle inscrivait d'abord deux noms suivis de plusieurs numéros de téléphone. Elle hésitait ensuite un court instant avant de compléter la liste par un troisième nom.

- Dans l'hypothèse où on finirait par me retrouver...

Elle n'achevait pas la phrase. Elle semblait penser à un détail précis.

- Vous êtes toujours derrière le comptoir, je veux dire : toute la nuit ?

Il répondait qu'il lui arrivait d'aller manger un morceau dans la cuisine, juste derrière la réception. Face à la cuisine, il y avait également le bureau, où il allait parfois s'asseoir quelques instants dans le noir, vers trois ou quatre heures du matin quand ses yeux commençaient à rougir. Il ajoutait qu'il n'était pas rare non plus qu'en pleine nuit on l'appelle dans une chambre parce qu'on avait soudain besoin d'une couverture supplémentaire, d'un deuxième oreiller, ou parce qu'une télévision ne fonctionnait plus – souvent à cause des piles de la télécommande qu'il suffisait alors de changer. Cela semblait la tracasser.

Elle reprenait brusquement, s'efforçant d'être concrète :

- Si contre toute attente on réussissait à trouver le numéro de ma chambre...

Elle s'interrompait, comme hésitant à poursuivre son raisonnement jusqu'au bout :

- Admettons que cela arrive... Qu'on vienne me chercher et qu'on me pousse à quitter l'établissement en pleine nuit...

Encore un silence. C'était une femme sensible et intelligente qui semblait comprendre qu'il était peu probable qu'on réussisse à se procurer le numéro de sa chambre puisqu'il avait promis de garder le silence. Deux précautions valaient tout de même mieux qu'une.

- Admettons quand même... Le risque n'est pas nul... On pourrait monter à un moment où vous avez le dos tourné, ou lorsque justement vous êtes occupé à changer les piles d'une télécommande.

Elle réfléchissait tout en parlant, s'efforçant d'imaginer soit la scène, soient les probabilités qu'une chose pareille se produise. Cela  ne lui semblait pas exclu. Ils étaient fins, capables d'agir avec discrétion.

- Ils agiraient sans violence, forcément, si bien que vous ne soupçonneriez rien. C'est là qu'il faut me promettre de réagir comme je vais vous le dire si par malheur vous me me voyiez sortir de l'établissement accompagnée – accompagnée par qui que ce soit...

Il aurait peut-être dû commencer à se poser des questions dès ce moment-là, tant il jugeait l'hypothèse improbable. La nuit, il travaillait seul. Qui pouvait donc  être assez intelligent pour deviner le numéro d'une femme enregistrée sous un faux nom, Constance Bonacieux ? Un numéro qu'il était le seul à connaître.

- Accompagnée, vous comprenez ...? Vous me promettez d'être attentif ? Accompagnée peu importe par qui, même et surtout si nous avons l'air en excellent termes... Il faudrait une phrase, un code... Une phrase anodine qui n'éveille pas la méfiance.

Il commençait à être intrigué, fasciné peut-être, sans savoir si c'était parce qu'il ne comprenait rien où se mettait brusquement à espérer. La phrase qu'on lui demandait était sortie sans qu'il réfléchisse plus d'une seconde, aussi banale et insignifiante que le souhaitait la cliente. Elle l'avait répétée mot pour mot devant lui, en souriant, comme si elle aussi trouvait que c'était une bonne phrase, intelligente, plausible :

- Merci de bien vouloir annuler le taxi que je vous ai demandé de commander pour moi demain matin à six heures.

Elle était satisfaite de ces mots-là qui ne voulaient rien dire, que personne ne pouvait comprendre et dont personne n'avait la moindre raison de se méfier.

La situation était simple, les instructions claires. Si la cliente quittait l'établissement en pleine nuit, accompagnée, et l'informait qu'elle n'avait plus besoin d'un taxi, il devait comprendre qu'elle courrait un grave danger et qu'il lui appartenait d'alerter par tous les moyens les personnes dont elle avait inscrit le nom sur le rectangle de papier bleu. Ces personnes-là à l'exception de toute autre.

Il n'était sûr de rien. De rien du tout, sauf que ces oreilles commençaient à bourdonner et qu'il ne savait pas quoi penser de la situation. Au fond de lui, n'était-ce pas une sorte de vertige qu'il ressentait peu à peu ?

Si les deux agents l'avaient cru avec une certaine facilité il n'en allait pas de même avec la fille de la cliente qui semblait décidée à le questionner aussi longtemps qu'elle souhaitait.

- Ma mère aurait pu arriver dans l'après-midi, avant que vous preniez votre service...

Elle ne lâchait pas et semblait vouloir sonder l'intérieur de son esprit. Elle avait les yeux très clairs, d'un bleu presque indécent, et son manteau bleu marine dégageait l'odeur un peu forte des vêtements neufs à peine sortis d'un grand magasin. Une odeur qui le mettait mal à l'aise.

- Une femme d'une cinquantaine d'années qui paraît beaucoup moins, les cheveux bruns et raides coupés un centimètre au dessous des oreilles...

Tout en lui parlant, elle tournait la tête de côté et étirait le cou, un long moment, en direction de la cage d'escalier, comme si elle doutait de sa réponse et était à deux doigts de monter pour frapper à toutes les portes, sans exception. Si elle avait réellement essayé de le faire, il l'aurait empêché. Elle n'avait aucun droit.

- Vous voulez dire des cheveux coupés à la garçonne, comme Louise Brooks ?

- Louise qui ?

Il répondait que c'était sans importance, et finissait par lui tendre un stylo, un papier sur lequel elle inscrivait son nom suivi de deux numéros de téléphone.

Si c'était si grave et si important, pourquoi n'avait-elle pas l'idée élémentaire de lui montrer une photo de sa mère ? Une photo qu'il aurait pris tout le temps d'observer, avant de répondre que le visage était soit celui d'une inconnue, soit celui d'une femme qui ressemblait à d'autre femmes ? Imperturbable, il aurait certainement ajouté qu'à sa connaissance c'était dans un autre hôtel qu'il fallait chercher cette femme-là. Chez lui, il n'y avait rien.